Bastien Bouillon : “Cette difficulté à être identifié m’a fait prendre des chemins de traverse” | Les Inrocks (2025)

Fascinant dans “La Nuit du 12”, Bastien Bouillon est le grand favori pour le César du meilleur espoir masculin. Rencontre avec un acteur atypique dans le cinéma français.

Cela faisait un moment qu’une voix dans le cinéma français ne nous avait pas autant passionné·es que celle de Bastien Bouillon. Un timbre feutré et prudent qui convoque un large panorama du cinéma français. D’un côté, l’élocution monolithique des modèles bressonniens et de l’autre, quelques réminiscences de Benoît Magimel ou de Gaspard Ulliel.

Révélée en 2013 dansDeux Automnes trois hivers de Sébastien Betbeder, sa partition fascinante de bout en bout, dix ans plus tard, dansLa Nuit du 12lui vaut enfin une certaine reconnaissance du public ainsi qu’une seconde nomination au César du meilleur espoir masculin (aprèsLe Beau Monde de Julie Lopes-Curval en 2015).

Quelques jours après la sortie d’Astrakan où il impressionne, entre violence et douceur, et à deux semaines de la cérémonie des César qui compteLa Nuit du 12et ses dix nominations comme l’un des grands favoris du palmarès, nous avons rencontré le comédien de 37 ans, qui a su trouver une place atypique dans le paysage du cinéma français.

“C’est un phrasé qui m’appartient, mais qui n’est pas quelque chose que je travaille de manière systématique”

Ce qui frappe depuis tes premiers pas de comédien,et encore plus depuisLa Nuit du 12 etAstrakan, c’est ta voix. Son grain mais aussi la façon que tu as de détacher méticuleusement chaque syllabe. Est-ce que tu entreprends un travail sur celle-ci?

Bastien Bouillon —Trafiquer la voix en tant que comédien est quelque chose de très compliqué car on a une latitude très faible. En revanche, cette manière d‘énoncer les mots les uns après les autres me vient forcément de mes études de théâtre. C’est un phrasé qui m’appartient, mais qui n’est pas quelque chose que je travaille de manière systématique. PourLa Nuit du 12, je sentais chez Dominik Moll et Gilles Marchand [son coscénariste] un amour du verbe, un travail extrêmement précis du dialogue. J’avais besoin de faire honneur à ces dialogues et de ne surtout pas passer au-dessus d’eux.

D’ailleurs, ton personnage murmure plus qu’il ne parle dansLa Nuit du 12.

J’ai proposé une partition qui travaille le rapport entre le regard comme une porte ouverte vers l’intériorité et une parole monolithique. L’idée était de travailler le décalage entre les yeux qui regardent intensément et qui essaient de percer et, au contraire, une parole très droite.

“J’ai toujours fait des choix mais avant si je disais non, je me retrouvais dans le vide”

C’est comme si ta voix contaminait celle de tous les autres personnages.

C’était un film où il y avait beaucoup de concentration par rapport au sujet traité. Personne n’avait l’intention de passer au-dessus de la partition et de tirer la couverture à lui ou elle. Il fallait rendre grâce à cette histoire. On a tous envie, quand on est comédien, d’être grandiloquentet histrionmais ici, on a fait le choix de la retenue et de la pudeur.

Dirais-tu que cette parentalité avec la voix claire et droite des personnages bressonniens est totalement inconsciente?

J’adore Bresson. La différence dans La Nuit du 12 etAstrakan, c’est que les réalisateurs ont choisi de travailler avec des acteurs et non des modèles comme chez Bresson. PourLa Nuit du 12,Dominik Moll m’a davantage parlé duSamouraïde Melvillecomme référence. La raison pour laquelle David Depesseville m’a pris, c’est la voix, et le rapport entre le film et l’œuvre de Bresson paraît assez évident. Je pense au plan sur les mains ou sur les billets qui évoque clairementPickpocket ouL’Argent.

Avec La Nuit du 12, Astrakanmais aussi le court métragePartir un jour(nommé au César du meilleur court métrage), ces derniers mois ont été riches pour toi. As-tu le sentiment d’être davantage au centred’un certain cinéma français d’auteur?

C’est sûr qu’il y a un peu plus de lumière sur mon nom qu’avant et ça, c’est agréable. Ce n’est pas tant une question de notoriété mais le luxe de pouvoir avoir le choix des projets. J’ai toujours fait des choix mais avant si je disais non, je me retrouvais dans le vide.

“Cette intermittence permet de vivre des choses, de se perdre, de parfois se trouver, de se nourrir de la vie”

Tu as été révélé dansDeux Automnes trois hivers de Sébastien Betbeder en 2013. Comment expliques-tu ce temps qu’il a fallu pour que tu sois pleinement identifié dans le paysage cinématographique?

C’est vrai que tout un certain cinéma m’a évité. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être à cause de ma voix. On avait du mal à m’identifier. Je fais jeune mais j’ai quasiment 40 ans. Je parle de façon maniérée mais ce n’est ni tout à fait bourgeois, ni prolo. Cette difficulté à m’identifier m’a fait prendre des chemins de traverse intéressants. L’intermittence de notre statut c’est vraiment le bon mot, j’ai travaillé par intermittence. Cette intermittence permet de vivre des choses, de se perdre, de parfois se trouver, de se nourrir pas que culturellement mais de la vie. C’est à cela que j’essaye de faire honneur quand je fais une proposition à l’intérieur des films.

Comment as-tu réagi à ta nomination pour le César du meilleur espoir masculin pourLa Nuit du 12, alors que tu tournes depuis quelque temps et que tu avais déjà été précédemment nommé dans cette catégorie?

Ça ne m’a pas vexé. Et puis ce n’est pas la première fois qu’un comédien estnommé face à des gens trois fois plus jeunes que lui.

Pour prolonger la lecture de l’article consacré à Bastien Bouillon, découvrez onze portraits choisis de la 76e édition du Festival de Cannes,Cannes : onze rencontres, onze portraits choisis,ou encoreVincent Macaigne: «J’ai un côté conquistador». Retrouvez également les interviews deBéatrice Dalleet deVincent Delerm,ainsi que les entretiens deLeos Caraxet deBastien Bouillonlui-même.

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